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Palais ducal de Nancy
1 août 2019

La galerie des cerfs I : description de son état originel

Mise à jour (18/08/2019)

 

Le décor renaissance


Les fresques de Hugues de la Faye

Construite au début des années 1510, la "grant gallerie" du palais semble avoir été à l'origine assez nue. En effet, si des éléments mobiliers sont mentionnés, comme des trophées de cerfs, ou peuvent être suggérés, comme des tapisseries, les murs et la voûte semblent avoir été dans un premier temps vierges de toute décoration. Cependant, soit que le projet ait été prévu de longue date, soit que l'idée soit venue plus tard, le duc décida de faire décorer la galerie (Nicole Reynaud, 1997, p. 126). Il s'adressa à Hugues de la Faye qui exerçait déjà depuis quelques années le métier de peintre de la cour. À ce titre, il avait réalisé plusieurs décors, notamment dans le cabinet de la duchesse Renée de Bourbon. L'ampleur de la tâche étant ici considérable, il fut secondé par un autre peintre nommé Georges Gresset. En janvier 1524, on éleva des échafaudages et on retira les têtes de cerfs du mur. La voûte, probablement en plâtre et structurée par un lattis en bois cloué à la charpente, fut consolidée en vue de sa mise en peinture. Le travail put commencer et il ne s'acheva qu'en 1529. Hugues de la Faye toucha près de 2 152 francs pour la réalisation des peintures, somme qui venait s'ajouter à ses gages et des gratifications diverses.

Il faut préciser ici que le décor peint par Hugues de la Faye est resté pendant longtemps inconnu. En effet, il n'est montré par aucune représentation et, les documents d'archives étant souvent laconiques, les érudits qui, comme Henri Lepage, s’intéressaient à la galerie des cerfs étaient bien en peine de le décrire. La question de savoir si les peintures représentaient des cerfs ou des scènes de l’Évangile n'était pas tranchée (Christian Pfister, 1909, p. 26). L'étude du programme iconographique a été considérablement renouvelée dans la seconde moitié du XXe siècle avec les découvertes des relevés de Jules-Hardouin Mansart et, surtout, des dessins originaux de Hugues de la Faye réalisés par l'artiste en prévision de ce travail. Ces documents inestimables, qui furent découverts par Nicole Reynaud, sont aujourd'hui conservés à la Bibliothèque nationale de Russie à Saint-Pétersbourg. Ce n'est que grâce à cet apport qu'il est désormais possible de visualiser l'apparence de cette galerie princière.

Les peintures murales représentaient la vie d'un cerf de sa naissance à sa mort au cours d'une chasse. Cette narration était appuyée par les trophées accrochés en-dessous de la corniche et par une statue de cerf posée sur la cheminée. La voûte, en berceau surbaissé, devait également être peinte. D'après les restes qui étaient encore visibles au XIXe siècle, on suppose qu'elle figurait un ciel d'azur constellé d'étoiles d'or (Jean Guillaume 1987, p. 48). Ce point est conforme aux textes d'archives qui font mention de livraisons importantes d'azur et d'or battu. C'est sur ce fond que l'on choisit de peindre des médaillons contenant des scènes de l’Évangile mises un parallèle avec celles de la vie du cerf. Des inscriptions en vers complétaient et explicitaient la composition.

 

Restitution d'une portion de mur de la galerie des cerfs (in Jean Guillaume 1987, fig. 7)

 

Il faut à présent préciser que les dessins trouvés en Russie sont au nombre de vingt-et-un :

  • les folios 1 à 19 comportent deux registres : celui du bas, carré, figure une scène de la vie d'un cerf et celui du haut, dans un médaillon ceint d'une guirlande, montre un passage de l’Évangile. Chaque registre est accompagné d'un cartel contenant un texte poétique explicitant le tableau. Une numérotation lacunaire montre qu'un dessin manque ce qui porte leur nombre originel à vingt.
  • un grand dessin occupant une double-page (f°20-21) représente la mort du cerf et la Crucifixion. Une architecture gothique flamboyante feinte et des trophées de chasse sont également représentés. Au verso se trouve une typologie des bois de cerfs.
  • un autre grand dessin (f° 22-23), plus lacunaire montre en son centre un cerf allongé, en "noble repos", entre deux figures féminines. Un médaillon le surmonte également.

L'étude de ces dessins a permis de les placer, avec une grande vraisemblance, dans l'espace que constitue la galerie des cerfs (Nicole Reynaud, 1997 et Jean Guillaume, 1987). Les folios simples se trouvaient sur les murs est et ouest, entre les fenêtres donnant sur la Grande-Rue et sur la cour d'honneur. Le visiteur monté par l'escalier de la tour de l'horloge pouvait commencer à suivre les histoires du cerf et du Christ sur le mur à sa gauche. Celle de l'animal se trouvait sur le mur proprement dit tandis que celle du Christ ornait la voussure de la voûte. En suivant cette double narration, le visiteur arrivait au mur sud. Là se trouvait l'unique cheminée de la galerie surmontée de la statue d'un cerf. C'est elle qui est représenté sur les folios 22-23. Ce mur coupait la narration qui reprenait sur le mur ouest et s'achevait par la chasse. Finalement, revenu au mur nord près de l'escalier par lequel il était monté, le visiteur se trouvait face à la grande composition des folios 20-21 c'est-à-dire la mort tant du cerf que du Christ.

L'intérêt de cette oeuvre étant la mise en parallèle du cerf et du Christ, nous allons les évoquer conjointement en les considérant scène par scène de leur naissance à leur mort.

 

     L'Annonciation ?

Comme nous l'avons dit, les dessins de Saint-Pétersbourg sont numérotés et une lacune montre qu'il manque un folio. Il devait se situer au début de la série, en première ou deuxième position. Nicole Reynaud estimait le parallèle entre les deux narration trop alambiquées pour permettre de deviner quel était la scène manquante (Nicole Reynaud, 1997, p. 147). Cependant, il nous semble qu'une scène majeure manque dans la série telle qu'elle est conservée : l'Annonciation. Rappelons que les ducs de Lorraine montraient la plus grande piété envers cet épisode de l’Évangile qui ornait leur bannière lors de la bataille de Nancy. Cette scène figurait d'ailleurs sur de nombreux monuments érigés par René II, le père d'Antoine, comme la façade extérieure de la porte de la Craffe, l'autel de Prime dans la collégiale Saint-Georges, les vitraux de la basilique de Saint-Nicolas-de-Port ou son propre tombeau. Il serait fort surprenant qu'elle soit absente ici dans un cycle de la vie du Christ.

Si on accepte que le médaillon figurait une Annonciation, quel pouvait être la scène correspondante pour le cerf ? Il est difficile de répondre mais il est possible que le tableau ait montré la biche en gestation.

 

     F° 1 : La naissance du faon / La Nativité

La première scène conservée montre la biche allaitant son faon nouveau-né dans la forêt. La monotonie du décor végétal est rompue par des rochers à gauche et un arbre, à droite, dont les branche semble protéger les animaux.

 

Biche veullent (voulant) son petit veau fanter

Une herbe prent nommée dragontée,

De la sercher sceit bien diligenter

Affin que soit en son mal confortée.

Le grant chemin quyert (cherche) et voye hantée

Où elle mest selon son appetit

Sans son dangier ne de loups sa portée.

Ainsy est né cerf naturel petit.

 

Hugues de la Faye, f°1 La naissance du faon (in Nicole Reynaud 1997)


Sans grande surprise, c'est la Nativité qui est mise en parallèle avec la naissance du faon. Le médaillon, qu'il faut imaginer entouré de guirlandes végétales, montre ainsi la Sainte-Famille : la Vierge, à gauche, est agenouillée devant son fils endormi sur lequel veille Saint Joseph. Derrière Marie se tient un homme debout tenant un bâton. Il s’agit sans doute d'un berger.

 Le serf divin est né plus noblement

Car vierge estoit, est et sera sa mère

Et fust de Dieu très amiablement

Préservée de douleur très amère.

En Bethleem Josepf, pitatif père,

La mist en lieu commung, chemin ou plaice,

Où enfanta Jersus faict noustre frère

En grant soulas (plaisir) et très ioyeuse face.

 

Hugues de la Faye, f°1 La Nativité (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 2 : La biche cachant son faon / La fuite en Egypte

Cette scène montre l'enfance du cerf qui est représenté aux côtés de sa mère. Le faon est blotti dans les hautes herbes à l'abris de tout prédateur. La menace humaine apparaît dans le lointain sous la forme d'un château qui annonce d'ores et déjà la future mise à mort. 

Craindant les loups la biche sceit cacher

Son petit veau quant loup vat viender (chercher nourriture),

Ainsy le met que beste ny vachier

Ni braconnier ne le peult resgarder

Et fort le cache pour tres bien le guarde(r)

De grans effors de tous ses ennemis,

Sy que nul de eulx ne le peult invader (attaquer),

Ainsi le reprent où avant l'avoit mis.

 

Hugues de la Faye, f°2 La biche cachant son faon (in Nicole Reynaud 1997)


Tandis que la biche doit protéger son faon des différentes menaces qui pèsent sur sa vie, la Sainte-Famille fait face à l'hostilité du roi Hérode qui veut supprimer ce potentiel futur rival. Prévenu en songe, Saint Joseph conduisit son épouse et leur fils en Égypte où ils demeurèrent jusqu'à la mort du souverain. La Fuite en Égypte est narrée dans l'évangile de Saint Matthieu (2, 13-23). De manière conventionnelle, l'artiste a représenté la Vierge et l'Enfant montés sur un âne guidé par Saint Joseph.

Quant les troy roy vindrent devotement

Jhesus mon cerf en Judée adorer,

Hérode roy et Juifgez faulsement

Le penssèrent comme loup devorer.

Mais Gabriel fist Josepf retirer

Et fuit par desertz en Egipte

Marie print Jesus sans demourer (tarder)

Pour le cacher de telle mort subit.

 

Hugues de la Faye, f°2 La Fuite en Egypte (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 3 : Le cerfs dans la rivière / Le baptême du Christ

Après une ellipse temporelle, nous retrouvons le cerf adulte, la tête ornée de ses bois. La scène le montre dans une rivière. De petites embarcations se trouvent plus loin et l'on devine des édifices dans le lointain. Le poème met l'accent sur la robustesse de l'animal, résistant aux maladies, et la longévité qui est la sienne lorsqu'il n'est pas la victime de chasseurs.

Apres que cerf at corru et saulté

Tost la rivière serche (cherche) sans retardance

Et quant dedans il seist avant bouté

En grant plasir luy revint sa puisance,

Puis refrecher se va à sa plaisance

Sans poinct souffrir fievre ne maladie,

Longuement vist se sa mort on navace (avance)

Par braconniers et par chasse hardie.

 

Hugues de la Faye, f°3 Le cerf dans la rivière (in Nicole Reynaud 1997)


Le thème de l'eau est également présent dans le médaillon qui figure le baptême du Christ dans le Jourdain. Cet épisode est narré dans les trois évangiles synoptiques (Matthieu 3, 13-17 ; Marc 1, 9-11 ; Luc 3, 21-22). Le Christ est représenté à genou dans le fleuve tandis que Saint Jean-Baptiste verse sur son front l'eau baptismale. Le Saint-Esprit, sous la forme d'une colombe radiée.

Le filz de Dieu prenant nature humaine

Feist plus grant sault que jamais ne fist dain

Quant descendant en vierge souveraine

Vint pour saulver le pauvre homme mondain,

Puis chemina et corut bien soudain

Le sainct pais dict de promision,

Apres il vint au fleuve de Jourdain

Où sacrement fist de remicion.

 

Hugues de la Faye, f°3 Le baptême du Christ (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 4 : Le grand cerf et le broquart / La décollation de Saint Jean-Baptiste

Cette scène montre le cerf à l'orée de la forêt en compagnie d'un broquart c'est-à-dire un cerf âgé d'un an. Le poème met l'accent sur la ruse de l'animal plus âgé qui, selon l'interprétation de l'époque, s'attache un compagnon plus jeune afin qu'il attire à lui les chasseurs. À l'horizon, les murs d'une ville se dessinent et on aperçoit également un château plus proche.

Ung maistre cerf vieil et malicieulx

S'accompaigne pour toute la saison

D'ung ieusne cerf q'on appelle en maints lieux

Son escuyer ou brorquart par droit non,

Et ce faict-il voulentiers, ce dit-on,

Pour avoir prest son change qui le chasse

Car lever faict le ieune du buysson

Devant les chiens, puis se met à sa plaise (place)

 

Hugues de la Faye, f°4 Le grand cerf et le broquart (in Nicole Reynaud 1997)


La scène religieuse évoquée en parallèle est la Décollation de Saint Jean-Baptiste. Les évangiles racontent comment ce prophète fut exécuté par le tétrarque Hérode Antipas sur la demande de son épouse Hérodiade. Le médaillon montre la princesse à la porte de son palais, donc l'architecture est suggérée, tandis que le saint agenouillé s'apprête à être décapité par un soldat. Le parallèle avec la scène du cerf n'est pas immédiatement perceptible. Il repose sur la relation entre le maître (le cerf/le Christ) et "l’écuyer" (le broquart/Saint Jean-Baptiste). Tandis que le cerf sacrifie son compagnon par ruse et égoïsme, le Christ n'expose le saint à la mort que pour prendre personnellement en main le Salut des Hommes. C'est donc le sens du sacrifice demandé par le maître qui diffère dans les deux registres.

Quant Jesus vint pour les hommes saulver

Son escuyer fist de sainct Jehan baptiste

Qui à cinq ans pour perchie eschever (éviter la pendaison).

Fuyt au descert vivant comme ung hermite.

Le maistre cerf par voulenté benite

Prest le tenoit pour en faire son change,

Puis l'exposant à passion subite

Sa place print pour mieux prescher qu'un a(n)ge.

 

Hugues de la Faye, f°4 La décollation de Saint Jean Baptiste (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 5 : Les cerfs passant l'eau / La multiplication des pains

Cette scène, pleine de vivacité, montre une harde traversant une rivière. Le grand cerf, ouvrant la voie, est cette fois présenté comme un bon maître guidant et soutenant dans l'épreuve ses congénères moins robustes.

Quant cerf désirent passer mer ou riviere

Pour rechanger pais à leur plaisir

De commun cours ilz ont cest maniere

Que le plus grand va devant par loysir

Et supportant par ung clement desir

Du cerf moins fort le fardeau de la teste

Et puis apres chacun d'eux sceit choisir

Luye pertinent selon qu'il est grand beste.

 

Hugues de la Faye, f°5 Les cerfs passant l'eau (in Nicole Reynaud 1997)


Le médaillon placé au dessus de cette peinture figure la Multiplication des pains. Le thème de la traversée de l'eau est commun : la rivière pour les cerfs, la mer de Galilée pour le Christ. Le parallèle se poursuit car Jésus fait également preuve de bonté en nourrissant, par un miracle, la foule venue écouter son enseignement.

Genesareth la mer de Galilée

Passer vouloit tost sans dilacion (retard)

Jesus mon cerf par hautran en galée (bateau)

Et proffiter en predicacion.

Apres luy vint grand congregation

Le nombre estoit environ de cinq mille,

Il leur donna pleine refection,

Aux gens fanys (affamés) donnant secours habile.

 

Hugues de la Faye, f°5 La multiplication des pains (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 6 : Le cerf en pleine graisse / Madeleine oignant les pieds du Christ

La saison estivale est mise à profit par les cerfs pour s'engraisser en vue des privations de l'hiver. La scène qui nous intéresse montre donc l'animal en pleine graisse, à la fin juillet. La date de la Saint-Madeleine, le 22 du mois, est d'ailleurs précisée afin de préparer le parallèle avec le médaillon. Le cerf se trouve dans la forêt mais, une fois encore, le paysage est partiellement ouvert sur la campagne alentour où se dresse un château.

Cerf en apereins (?) serchent leurs avantaige

En lieu où est voir (vrai) buisson de requoy (cachette),

Pres des froments, d'avoynes ou poutaige (grains)

De revenir il est my teste en may

Et a my juing my gresse ausy pour vray,

Puis un an après, devers la Madeleine,

Sont tous reffaict, sçaves vous voir pour quoy,

Pour ce que lors leurs gresse est toute pleine.

 

Hugues de la Faye, f°6 Le cerf en pleine graisse (in Nicole Reynaud 1997)


Le médaillon montre quant à lui une scène célèbre de l'évangile de Saint Jean (12, 1-8) dans laquelle Sainte Marie de Béthanie oignit les pieds du Christ avec un parfum précieux. Elle est représentée à genoux tandis que le Christ, les apôtres et Sainte Marthe, sœur de Marie, conversent à table. Parmi les disciples, on peut reconnaître Saint Jean, imberbe, et Saint Jacques le Majeur, vêtu en jacquet.  Le personnage de Marie appelle précision. Jusqu'au concile Vatican II, l'Eglise catholique a amalgamé à tort Marie de Béthanie et Marie de Magdala (soit Marie-Madeleine). Cette confusion transparaît ici puisque c'est le nom de Madeleine qui est donné. Le parallèle avec le registre du cerf est créé à la fois par la date estivale de la Saint-Madeleine et par le thème de la graisse que le cerf produit et que le Christ reçoit, sous la forme du parfum.

Le cerf divin souvent en Bethanie

En divers temps s'en allait viander (se nourrir),

Là une foys en grande compaignie

Vint Magdelaine soy voulant amender.

Lors apporta sans poinct luy commander

Grant quatité de ongnement de noblesse

Par quoy Jhesus fust reffaict sans commander

Par Magdaileine et mis en pleine gresse.

 

Hugues de la Faye, f°6 Le Christ chez Marie et Marthe (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 7 : Le grand cerf chassant le broquart / L'abandon du jeune homme riche

Cette scène, pleine de vigueur, montre le grand cerf chassant le broquart, son jeune compagnon, en raison du manque de nourriture. A l'arrière-plan se trouve une ferme.

Muser vont puis, pissant leur gresse hors,

De viander à nul plus se souvient.

D'avecques eulx chassent leur broquart lors.

Trestout pensif lors chascun d'eux venint

Et en musant la corne en terre tient,

En soy fumant et ne sceit que luy fault,

Es landes va et puis au bois revient,

Amour luy faict sentir ardeur et chault.

 

Hugues de la Faye, f°7 Le grand cerf chassant le broquart (in Nicole Reynaud 1997)


L'épisode de l'Évangile mis en parallèle est celui où un jeune homme riche, souhaitant connaître le moyen d'accéder au Royaume de Dieu, se voit répondre par le Christ qu'i doit se séparer de toutes ses possessions terrestres et le suivre. Le jeune homme, découragé par une telle exigence, repart alors. Le médaillon montre le Christ et les disciple rejoint sur leur chemin par le jeune homme placé à droite. Celui-ci les salue de son chapeau.

Ung escuyer vint à noustre saulveur

Et demandoit de sa salvation.

Lors cerfs divin en amoureux serveur

Ames queroit par predication.

A l'escuyer donnant instruction

De delaisser or, argent, heritaiges,

Comme frappé fut plain d'afliction

Et retourna courant à ses bagages.

 

Hugues de la Faye, f°7 Le Christ et le jeune homme riche (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 8 : Le cerf frottant ses bois / La vocation des disciples

Cette scène montre le cerf frottant ses bois contre un arbre. Ce geste peut avoir plusieurs signification, comme marquer son territoire. Ici cependant, il s'agit pour l'animal d'enlever le velours de ses bois. On désigne sous ce nom des tissus vascularisés qui recouvrent la ramure durant leur pousse mais qui se dessèche et se décroche dans le courant du mois d'août.

Naturelz cerf quant il leur plaist brunir

Et tout le poil de leur corne fréer (frotter)

Contre ung ieune arbre vont pour les descouverir,

Du pied faultrant (frappant) et puis se vont veutrer

Et (ès) charbonniers pour brunir net et clair

Leurs endolliers et leur surandoulliers,

Lors (leurs) chevilleurs ou pour plus en parller

Espoir, trenchant, couronnes ou paulmeres.

 

Hugues de la Faye, f°8 Le cerf frottant ses bois(in Nicole Reynaud 1997)


L'épisode de l'évangile mis en relation avec cette scène est la vocation des disciples, lorsque le Christ appela ceux qui n'étaient alors que d'humbles pêcheurs à le suivre, devenant ainsi les apôtres. L'artiste a représenté Jésus, debout sur la rive avec un disciple, tourné vers le lac où se trouve une barque de pêcheurs. Trois personnages sont représentés à l'intérieur. Le rapport établi avec les bois du cerf n'est pas sans intérêt. Selon le poète, de même que les bois sont restés cachés un temps sous le velours, la puissance du Christ est restée voilée durant sa jeunesse. Ce n'est que le moment venu que le cerf dévoila sa ramure et que Jésus ne manifesta sa mission divine, par exemple en appelant autour de lui les disciples.

De noutre cerf la corne est sa puissance

Et l'arbre-beau l'homme nous synifie.

Or son pouvoir fut couvert en enfance,

Chascun docteur ainsy le sertifie,

Puis à trente ans il eust corne brunye

Quant appella par ses dictz et miracles

Plusieurs disciples en sainct compaignie

Qui l'ensuyvirent laissant leurs habitacles.

 

Hugues de la Faye, f°8 La vocation des disciples (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 9 : Les trois couleurs des cerfs / La Transfiguration

Ce tableau a pour objet la couleur du pelage du cerf et il en distingue trois : rouge (rarement vu selon le poète), brune et blonde. Logiquement, les trois animaux représentés devaient être peints de ces teintes. Il n'est pas superflu de préciser que la couleur des cerfs varie pendant l'année. Au printemps, apparaît un pelage fin et relativement clair qui fonce au cours des mois pour devenir brun-roux pendant l'été. Une nouvelle mue, à l'automne, donne à l'animal son épais pelage hivernal, brun foncé mais qui peut prendre des teintes argentées. Certains animaux peuvent porter une couleur claire tirant sur le blond.

Par plusieurs dictz bien plentureusement

J'ai de mon cerf dist la condicion,

Ce nonobstant bien voulentairement

De ses couleurs feray distinction

Que Modus Roy enseigna en ce monde :

Rouge peu vault sans quelque fiction,

De grand valeur sont le brune et la blonde.

 

Hugues de la Faye, f°9 Les trois couleurs des cerfs (in Nicole Reynaud 1997)


Le médaillon évoque l'épisode de la Transfiguration pendant lequel, apparaissant aux disciples en compagnie de Moïse et Elie, le Christ leur sembla d'une blancheur immaculée. On retrouve donc le chiffre trois ainsi que le thème de la couleur. Le poème va plus loin en utilisant les couleurs du cerfs comme une annonce de la Passion et de la résurrection du Christ.

Quand cerf divin hault en Thabor monta

Ouquel il fist transfiguration,

Les trois couleurs de montrer ne doubta,

Ains en donna la déclaration :

La rouge fust sans en affliction

De passion pour l'homme racheter,

La brune mort et sepetition (ensevelissement),

La blonde il eust quant deux (dut) resusiter.

 

Hugues de la Faye, f°9 La Transfiguration (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 22-23 : Le mur sud soit le cerf en noble repos

Coupe de la galerie des cerfs sur l'élévation de Hardouin-Mansart, 1700 (cliché Bnf ; D29 détail)

Nous arrivons ainsi au grand mur fermant la galerie au sud. Le double-folio qui s'y réfère est en mauvais état mais d'autres documents peuvent le compléter. Précisons tout d'abord qu'une coupe de Jules-Hardouin Mansart le représente. le détail des peintures n'est pas représenté mais la disposition générale est visible. L'élément principal était la cheminée (la seule de la galerie) sur laquelle était disposée une statue de cerf "en noble repos". Deux pilastres, prolongeant ceux de la cheminée, montaient jusqu'à la voûte et encadraient le médaillon. De part et d'autre de la cheminée se trouvaient deux portes dont l'une est plus détaillée. C'est surprenant car le plan de la galerie, dressé à la même époque, n'en montre qu'une, à gauche, menant à l'aile René II.

Le dessin de Hugues de la Faye montre la statue de cerf, posée sur le dessus de la cheminée, ainsi que deux figures féminines. Les textes accompagnant les femmes montre que la peinture de ce mur avait un but d'exposition car ce sont elles qui narrent l'histoire du cerf. Un article de paiement, rédigé en 1606 lors de a réfection des peintures par Jacques Bellange, fait état de trois personnages (Nicole Reynaud, 1997, p. 152). Il n'est pas exclu que celui qui manque (le narrateur de la vie du Christ ?) se trouvait originellement à l'extrême-droite. Il serait donc dans une partie amputée du folio.

Texte sous le cerf :

Le cerf sy est plus qu'autre nullement

Beste haultaine en faiçon et maniere,

Car lors qu'il va en amours voierement

En septembre qu'on appelle leur rere

Fort s'orgueillist et contenance a fierre,

Le coul a gros et les yeulx enflamez.

Ce luy qu'il blesse n'a besoing que de bi(e)re

Trestant en sont les coups envenimés.

 

Texte sous la femme de gauche :

...phie ma belle saige fille,

J...eve bien en vous humilité.

Assez congnois combien estes habille

Pour reciter du cerf la verité,

Et comencies par mon auctorités

Car apres vous donneray ma doctrine,

Chascun coplet diray en equité

Du cerf divin qui le monde enlumine.

 

Texte sous la femme de droite :

Dame d'honneur, excellente ...

Il apertient à voustre sapience

Nous informer par sagesse di...

De voustre cerf et de son excellence.

Bien je congnois vostre manificence.

Premièrement nous deves infor...

Puis de mon cerf ie diray par li...

Sans nulz faulz motz de mond... cerf servir.

 

La scène du médaillon est mal connue. En effet, seule la partie inférieure du dessin, et donc des personnages, est conservée. D'après le texte, le thème était la prédication du Christ et les tentatives des pharisiens pour le piéger.

Mon noble cerf fust tres iniustement

Des faulx juifz jugé estre orgueilleux

Quant il leur dist que nul d'eux justement

En quelque cas le prouveroit vicieulx.

Lors il estoit des ames amoureux

Et haultement prechoit la verité,

Dont lapider scribes malicieulx

L'ont attempté par leur iniquité.

 

Hugues de la Faye, f°22-23 Le cerf en noble repos (in Nicole Reynaud 1997)

Restitution du mur sud (Jean Guillaume 1987, fig.10)

 

     F° 10 : Le cris des cerfs / La prédication du Christ

Après la scène d'exposition du mur sud, nous revenons à la double narration, cette fois sur le mur ouest. Pour trois tableaux, l'histoire du cerf va se concentrer sur la reproduction. En premier lieu, c'est le brame qui est évoqué. En effet, la fin de l'été et une partie de l'automne est marquée par ces cris que poussent les cervidés mâles en rut pour attirer les femelles. Le narrateur insiste sur la diversité de ces cris, qu'il nomme rerre. Le dessin, quant à lui, montre trois cerfs (peut-être différenciés par les trois pelages du folio 9) bramant tandis que des biches les observent. c'est un des rare tableau où la présence humaine n'est pas visible.

Les cris des cerfz qu'on appelle leur rerre

Des ungs aux aultres est souvent differant,

Car les cerfz réent chascun à sa manière,

Les ungs tres hault, de rien ne se doubtant,

Aultres fort bas et gros en gorgotant

Qui est signe de grand et vieille beste,

Aultres tout droit et comme en estant (debout)

Sans poinct hausser ne besser fort la teste.

 

Hugues de la Faye, f°10 Les cris des cerfs (in Nicole Reynaud 1997)


Le médaillon compare le brame du cerf à la prédication du Christ. Jésus est représenté enseignant à une foule. L'accent est mit, dans le texte, sur un triple message faisant écho aux trois manières de crier pour l'animal. Il s'agit de l'annonce du Paradis, puis des commandements et, enfin, de l'évocation de l'Enfer.

Quant cerf divin voulut crier ou rere

En temps d'amours par predication,

En trois façons enseigna par voix clere

Ce qu'il nous fault pour la salvation.

Tres hault cria donnant instruction

De déité et de gloire celeste,

Puis de la loy donna l'intencion

Et bas parla de l'infernal tempeste.

 

Hugues de la Faye, f°10 La prédication du Christ (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 11 : Le cerf se battant pour les biches / La conversion de la Samaritaine

Après le brame, la narration de l'histoire du cerf s'intéresse aux combats entre les mâles concurrents. Cette lutte est représentée en lisière de la forêt, non loin d'un moulin à eau, sous l’œil des biches.

En gorge crye selon qu'il et (est) grand,

Tres peu s'arest, il tontte nuyt et jour,

Poinct ne repose, tousjours est en estant (debout)

Par les forests faict adoncques maint tour,

Les biches chasse et puis vat à l'entour

Jusques es landes sur un ruissellet cler,

Là faict son ruyt et se tient en destour,

Nulle pres de biches lors ne laisse approcher.

 

Hugues de la Faye, f°11 Le cerf se battant pour les biches (in Nicole Reynaud 1997)


Il semble difficile de relier la lutte des cerfs pendant le rut avec un épisode de la vie du Christ. Aussi, le peintre et le poète ont fait le choix de la conversion de la Samaritaine. Celle-ci était issue d'un peuple professant une variante du judaïsme et considéré par les Juifs contemporain du Christ comme des hérétiques. L'évangile de Saint Jean (IV, 1-30) narre la rencontre entre Jésus et une Samaritaine au Puits de Jacob et la conversion de celle-ci. La pertinence du rapprochement entre les deux histoires est justifiée, à la lecture du texte, par les efforts déployés par le cerf pour se reproduire et par le Christ pour annoncer la Bonne Nouvelle. Le thème de l'eau est également repris.

Le cerf divin prêchant fort s'ecryait,

Peu s'arretant mais allant nuyt et jour,

Sans nul repos pour vous il labouroit,

Prêchant cités et villes sans séjour.

En Samarie il print en son amour

Et là trouva biche Samaritaine,

Moult bien l'aima quant par vertueux tours

La convertist auprès de la fontaine.

 

Hugues de la Faye, f°11 La conversion de la Samaritaine (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 12 : Le grand cerf vainqueur / Le Christ écartant les Pharisiens de la femme adultère

Ce tableau suit directement le précédent puisqu'il a pour thème le grand cerf vainqueur, libéré de ses rivaux qui continuent à s'épuiser dans la lutte.

Et par force et (est) le plus grand cerfz maistre

Pour ce les austre selon ce qu'il sont grand

A ung traict d'arc de luy l'on veoit metre,

S'aucun s'aproche il luy est sus courant,

Et se combatet, le grand des biches ari(è)re,

Leurs estour (bataille) dur jusques soit recréans (épuisé),

Pui tout les aultres luy font lors gue(r)re fiere.

 

Hugues de la Faye, f°12 Le grand cerf vainqueur (in Nicole Reynaud 1997)


Le médaillon associé traite de l'épisode de la femme adultère que le Christ protège des Pharisiens. Comme dans l'évangile, Jésus trace dans le sol des signes pendant que les accusateurs l'interpellent sur le châtiment de la pécheresse. D'une parole, il s'apprête à trancher le débat et à sauver la femme représentée derrière lui. Le but de l'artiste était de montrer que la victoire du Christ sur les Pharisiens ne passe pas par la confrontation physique contrairement à celle du cerf.

Les pharisées à Jesus amenèrent

Une adultère d'ordure l'acusant,

La question cautement (par ruse) proposèrent,

Vaincre le cerf en leur cueur pourpensant.

Lors le saulveur humblement se baissant

En terre fist certaines pourtraictures,

Ainsy vaincus il furent en lisant

Car ung chascun véoit ses forfaictures.

 

Hugues de la Faye, f°12 Le Christ et la femme adultère (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 13 : Les cerfs perdant leurs bois / Le Christ se retirant à Ephraïm

Ce tableau de la vie du cerf est le dernier qui traite de considérations naturalistes. Il s'agit de montrer les cervidés, affaiblis après le rut et la période hivernale, qui perdent leurs bois. Ceux-ci pousseront à nouveau pendant le printemps et l'été.

Le ruit passé maigres sont et fort las

Et sy tres laches et sy tres desconfis

Qu'ensamble vont en herde tout le pas

Fort qu'adonques ne se peuent valoir pis,

Au souleil sont es landes et pastis

Et ça et là gictant (jetant) leurs teste vont

Jusqu'en avril, qu'ilz viennent es taillis

Pour viander les broustz qui les reffont.

 

Hugues de la Faye, f°13 Les cerfs perdant leurs bois (in Nicole Reynaud 1997)


La scène correspondante dans l'évangile est la retraite du Christ à Ephraïm. De même que le cerf reprend des forces, Jésus prend du recul avant de poursuivre sa mission.

Jà dist avons que par le sens misticque

Test de cerf signifie puisance.

Consequemment disons en retoricque

Que la jeter a la sinifiance

Que serf divin ne usa de vaillance

Quand il fouit en Effrein (à Ephraïm) la cité

Qui declina juive malveillance,

Attendant temps pour mourir de pietez.

 

Hugues de la Faye, f°13 Le Christ à Ephraim(in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 14 : Les préparatifs de la chasse / Judas recevant les trente deniers

Ce tableau constitue une coupure dans la narration qui désormais, va se concentrer sur la chasse qui conduira à la mort du cerf. Visuellement, c'est la première fois où l’animal n'est pas présent. La scène se déroule en effet chez les chasseurs qui se préparent avec leurs chevaux et leurs chiens.

Quant le veneur s'en va faire sa queste

Es champs, fortez, ganaiges (labours) et taillis,

Sy son lymyer rencontre aucune beste

Il n'est pas temps qu'il ait les sens faillis.

Regarder doibt foullers (foulées) et viandis,

Fumées cuillir pour faire ses raportes

A l'assamblée où l'on tient le devis

Sy son grand serfz et de combien de cors.

 

Hugues de la Faye, f°14 Les préparatifs de la chasse (in Nicole Reynaud 1997)


La scène est construite autour d'un personnage barbu coiffé d'une toque ornée de plumes. Il s'agit du grand veneur organisant la chasse. On peut se demander si ses traits ne sont pas empruntés au duc Antoine lui-même. Après tout, il s'agissait de son palais et les trophées de cerfs exposés dans la galerie devaient louer ses qualités cynégétiques. L'apparence de l'homme ne contredit pas cette hypothèse. Le Musée barrois abrite en effet un portrait d'Antoine attribué à Hugues de la Faye lequel l'aurait réalisé vers 1520. À cette date, le duc n'est plus le jeune homme représenté sur la Porterie ou ses monnaies. Il porte désormais la barbe et le chapeau comme la plupart des souverains de son époque (François Ier ou Henri VIII par exemple).

De même que le registre inférieur ne montre pas le cerf, le médaillon ne figure pas le Christ. C'est sa Passion qui est annoncé par la défection de Judas. Celui-ci est représenté recevant le prix de sa trahison. Notons qu'une différence est visible entre les deux registres : si la vénerie est montrée sous des jours flatteurs, ceux qui traquent Jésus (le "cerf divin" comme l'a désigné à plusieurs reprises le poète) sont ici montré comme des braconniers.

Au doulx souper faict au mont de Sion

Judas congneust mon cerf au viandis,

Son sacrement print en abusion

Et mesprisa ses dignes faict et ditz

Son raport fist au prince de Juifz

Auxquelle l'avoit vendu trente deniers

Mon serf livrera pour ung sy ville pris

Le plus villain de tous faulx brachoniers.

 

Hugues de la Faye, f°14 La trahison de Judas (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 15 : Les veneurs cherchant la piste / Judas montrant le Christ à Gethsémani

Cette scène de chasse est la seconde où le cerf n'est pas montré. Le thème porte sur les veneurs chargés de repérer, notamment grâce à leurs chiens, la piste du gibier afin de guider les chasseurs.

Celuy veneur va ses brisées requeres

Qui par avant fust le cerf destourner,

Aux compaignons montre du cerf par terre

Son lymier va en sa routte fraper.

Lors le veneurs dist : vault le cy aller,

Va compaingz va la vaul cy vail avant,

Garde toy bien de poinct le suraller

Car le temps n'est de faillir maintenant.

 

Hugues de la Faye, f°15 Les veneurs cherchant la piste (in Nicole Reynaud 1997)


De la même que les veneurs sont chargés de guider les chasseurs jusqu'au cerf, c'est Judas qui mena les soldats jusqu'au Christ. Le médaillon le représente montrant d'un geste de la main Jésus en train de prier non loin des disciples.

Judas avoit bien mon cerf detourné,

Seur (sûr) il estoit et certain de sa plaise (place).

Il print Malchus, son lymier forsent (furieux),

Aux compaignon monstra de crist la face.

Devant alloit comme chief de la chasse,

Leur promettant qu'en baisant le rendroit.

Jesus mon cerf reprimant leur audance

Les renversa, nul n'en demoura droit.

 

Hugues de la Faye, f°15 Judas désignant le Christ (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 17 : Les veneurs repérant le cerf / Jésus devant Anne

Ce folio 17 a été interverti avec le folio 16 (Nicole Reynaud, 1997, p. 147). La scène cynégétique montre le cerf repéré par les veneurs et pris en chasse.

Quant veneur voit cerf de dix huit cors

Ayant aussy hault teste paulmée

Et qu'il est grand, pesant et brun de corps

Et en toutz pres a la teste semée,

Le marain (merrain) gros, bien en ordre semée,

Gros tours de meules myses pres de la teste,

Les jours blanches qu'est couleurs bien amée,

Aux conpaignon et aux chiens faict grand fest.

 

Hugues de la Faye, f°17 Les veneurs repérant le cerf (in Nicole Reynaud 1997)


Le médaillon représente le Christ amené devant Anân (francisé en Anne). Il s'agit d'un ancien grand-prêtre qui, selon Saint Jean, interrogea Jésus avant qu'il ne soit déféré devant le Sanhédrin pour son procès.

Le faulx veneur a mal faict propice

Ses chiens juifz descoupla vistement

Quant Anne mist à chasser par malice

Es mal mener mon cerf subitement,

Aprochié l'ont sy tres depitement (méchamment)

Que l'un des chiens son sang luy rependit.

Puis Anne l'a transmis apertement

A Cayfas quy de nuit l'atendit.

 

Hugues de la Faye, f°17 Le Christ devant Anân (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 16 : La fuite du cerf / Jésus devant Caïphe

Le tableau montre le cerf, débusqué, qui s'enfuit pour échapper aux chasseurs. Le texte insiste notamment sur la course effrénée de l'animal.

Le cerf est fortz, chascun chien va suyvant

Et les veneurs de le prendre ont soucy.

Huant (criant) tres fort : la vail cy vail avant

Tya lau tya lau oultre chiens oultre à ly.

Bien tost sera le gallant en anuy (ennui).

Puis que tousjours les chiens chas(s)ent leur droit,

A son aller nous ne fauldrons meshuy (aujourd'hui).

Il va branlant et guère ne va droit.

 

Hugues de la Faye, f°16 La fuite du cerf (in Nicole Reynaud 1997)


Le médaillon montre le Christ déféré devant le grand-prêtre Caïphe qui préside le Sanhédrin. Cet organe sert d'assemblée législative et de tribunal au peuple juif mais, à l'époque de Jésus, il ne peut plus délivrer de sentences capitales, ce privilège revenant désormais au gouverneur romain. L'action du Sanhédrin telle qu'elle est décrite dans les évangiles synoptiques est contestée par la critique historique. Cependant, elle a beaucoup compté dans l'essor d'un antijudaïsme chrétien qui transparaît d'ailleurs dans les poèmes de la galerie des cerfs. Sur un ton plus léger, notons que le poète qualifie Caïphe d'évêque par analogie avec la hiérarchie épiscopale.

Quant chien juifz mon povre cerf chassoient

Pierre y estoit qui troy foy le nya.

Les faulx tesmoing contre luy deposoient,

Quant Caifas l'evesque l'adiura,

Tresfort huant (criant) ses robes deschira

Disant que Christ avoit dieu blasphemé.

Chacun Juif dist que mort souffrira,

Ainsy à tort l'ont à mort condapné.

 

Hugues de la Faye, f°16 Le Christ devant Caïphe (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 18 : Le cerf poursuivi remplacé par un autre / Pilate libérant Barrabas

Ce tableau montre le cerf qui utilise ses congénères pour détourner ses poursuivants. L'accent est mis sur la ruse et la lâcheté de l'animal qui tranche avec le courage du Christ.

Quant cerf courant vient à apersevoir

Des cerf sur piedz es taillis ou hault bois

De bailler changes se met en grand debvoir,

Sy que conioinctz long tamps vont deux ou troy.

Aucuns chiens lors, ce faisent bien par foy,

Ce non ostant vont chassent le parfaict,

Changes laisant hault font ouyr leur voix.

Serf sera prins s'yl ne garde à son faict.

 

Hugues de la Faye, f°18 Le cerf poursuivi remplacé par un autre (in Nicole Reynaud 1997)


Le médaillon correspondant narre la libération du bandit Barabbas par le gouverneur Ponce Pilate. En effet, celui-ci libérait annuellement un condamné lors de la Pâque juive et il aurait laissé à la foule le choix de décider qui, entre Jésus et Barabbas, devait en profiter. La foule fit libérer le bandit.

Les chiens juifz chasserent Jesus à mort,

L'ont mal mené à Ponce presentent.

Chascun Juif lors l'acusoit à tort

Dont Pilate ne fust pas consentent.

Ainsi Barabas en sa prison estant

Aux chiens pour changer donner il desiroit.

Peuple juif seduit fust consentent

Le cerf divin chaissant à mort sans droit.

 

Hugues de la Faye, f°18 La libération de Barabbas (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 19 : Le cerf mordu par les chiens / Le Christ montré au peuple

Le dernier tableau avant le grand mur nord annonce la mort imminente du cerf. Affaibli par sa course, l'animal est blessé par le veneur tandis que les chiens le harcèlent et le mordent.

Apres que chiens le cerf vont sentir

Se garde bien d'oustre l'eues (l'eau) droit passer.

Deligens sont, pas il n'en fault mentir,

Rien ne luy vault par devant eulx ruser.

Le bon veneur picque sans s'amuser

Quant apperçoit qu'il a langue retraite,

Trainant les rains, hericé, va muser

La teste en bas dont les veneurs font feste.

 

Hugues de la Faye, f°19 Le cerf mordu par les chiens (in Nicole Reynaud 1997)


Le médaillon est une représentation de l'Ecce homo. Cette scène, très couramment figurée dans l'art chrétien, est emblématique de la Passion du Christ. Jésus, qui vient d'être battu et affublé d'un manteau de pourpre et d'une couronne d'épine par les soldats, est présenté au peuple. Un problème se pose cependant ici car cette scène devrait être placée avant la libération de Barabbas. La narration de la vie du cerf atteste cependant que les folios ne sont pas inversés.

Quant chiens juifz Jesus à mort chasserent

En l'acusant et crient fièrement,

Herode Roy et Pilate lacherent

Des chiens romains mordent amerement,

Or fust son corps par tout entierement

Fort deplayé (blessé) et son chief couronné,

Puis fut montrés au peuple clerement,

Son piteux corps de propre (pourpre) avironné.

 

Hugues de la Faye, f°20 Ecce Homo (in Nicole Reynaud 1997)

 

     F° 20-21 : Le mur nord soit la mort du cerf / la Crucifixion

Les narrations des vies du cerf et du Christ trouvent leur conclusion sur la grande peinture du mur nord. La dernière scène de chasse est la plus riche. Le cerf, mort, gît à terre entouré des chasseurs et de leurs chiens. Le grand veneur le domine de toute sa stature. L'arrière plan est très ouvert dans la partie droit où l'on aperçoit le château et diverses constructions qu'animent de nombreux personnages.

Quant noble cerf a sa force perdue

La mort le prend en grand desconfiture.

Chascun veneur aux chiens ly parle et hue (crie),

Sonnant la prince (prise) par raison et droiture.

Le grand veneur desent de sa monture,

Levant le pied pour faire son devoir

Du cerf plorant qui est sa vraye nature

Chascun veneur aisy (ainsi) le peult scavoir.

 

Le médaillon, qui comme nous l'avons dit est au centre de la composition, est entouré de guirlandes. Elles devaient figurer sur tous mais seul ce folio les montre. La scène représentée est la Crucifixion. Jésus meurt sur la croix sous les yeux de sa mère Marie (à gauche) et de Saint Jean (à gauche). Derrière eux défilent des soldats romains. Au milieu du XIXe siècle, les fondateurs du Musée lorrain pouvaient encore discerner les traces d'une partie des guirlandes et de l'inscription de droite (Henri Lepage, 1852, p. 41). Plus tard, après la première restauration, davantage de mots apparurent (Catalogue du Musée lorrain 1863, p. XIV). Ces derniers vestiges des fresques de Hugues de la Faye disparurent dans l'incendie de 1871. Comme une comparaison le montre, le texte réalisé sur les murs de la galerie correspond à peu de chose près à celui que l'on peut lire sur les dessins préparatoires de Saint-Pétersbourg. Les différences s'expliquent sans doute en grande partie par les restaurations successives et par les difficultés de déchiffrement.

 

Texte de Saint-Pétersbourg

Quant cerf divin des juifz malmené

Accusé fust en cris tres constament,

Pilate l'a faulsement condempné

Pour en la croix le pendre vistement.

Puis payens ont osté son vestement,

Et en la croix cloué par leur effort

Jhesus plorant et cryant haultement

L'esprit rendist au cueur navré tout mort.

 

Texte visible en 1863

(en gras texte visible dès 1852)

Quant cerf divin [par] les juifz malmené

Accusé fust en crys tresconstantement,

Pilate l'a faulsement condempné

Pour en la croix le perdre vistement.

Puys payens ont osté son vestement,

Et en la croix cloué par leur ... ett...

Jesus plorant et cryant haultement

L'esprit rendist au c...

 

Hugues de la Faye, f°20-21 La mort du cerf (in Nicole Reynaud 1997)

Restitution du mur nord (Jean Guillaume 1987, fig. 8)


Outre les scènes décrites, il faut mentionner la représentation d'une architecture gothique flamboyante avec deux arcades latérales qui encadrent le médaillon central. Deux consoles en trompe-l’œil servaient d'appui visuel à deux trophées de cerfs. Mentionnons enfin deux anges, de part et d'autre du médaillon, qui portent chacun un écu vierge. Celui de gauche contenait sans doute les armes du duc Antoine et celui de droite celles de son épouse la duchesse Renée de Bourbon. Si les premières ne posent pas de difficulté, les secondes peuvent faire l'objet de plusieurs hypothèses. Précisons que les armes des Bourbons-Montpensier ont connu des variantes : d'azur aux trois fleurs de lys d'or et à la bande de gueule brisée en chef d'un quartier du Dauphiné d'Auvergne (soit d'or au dauphin pamé d'azur) ou écartelé de Bourbon (d'azur aux trois fleurs de lys d'or et à la bande de gueule) et du Dauphiné d'Auvergne. Nous savons que sur la partie senestre de ses armes (la partie dextre étant occupée par celles de son époux), la duchesse Renée a utilisé ces deux déclinaisons. Dans le contexte qui nous intéresse, il est possible que la variante la plus simple ait été privilégiée pour plus de lisibilité. C'est d'ailleurs celle-ci qui a été utilisée sur la fresque du couvent des Cordeliers également peinte par Hugues de la Faye.

 

Écu aux armes pleines de Lorraine 1500-1538 (image commons.wikimedia.org)   Écu aux armes de Renée de Bourbon-Montpensier (image commons.wikimedia.org)   Écu aux armes de Renée de Bourbon-Montpensier, variante (image commons.wikimedia.org)

 

     Verso du F° 21 : Les bois de cerf

Nous venons de voir les peintures réalisées par Hugues de la Faye en faisant le tour de la galerie des cerfs. Nous sommes donc revenus aux portes donnant accès aux balcons longeant les corps de logis et à la tour de l'horloge. Elles étaient surmontées d'ultimes peintures représentant les différents bois de cerf. À gauche, se trouvait la typologie des bois en fonction de leur forme (la bien née, la chevillée, la rangée, la contrefaite, la bien peuplée et la longue perche) et, à droite, celle des ramifications (l'andouiller, le surandouillers et la chevillure ou cor). La dernière ramification fait l'objet de précision selon qu'elle se termine par un cor unique (l'époi), par deux (fourche), par trois (tronchée) ou plus (couronnée). Ces illustrations étaient donc très techniques et elles auraient leur place dans un manuel de vénerie.

Les veneurs nomment les teste ensement (ainsi) :

Bien née la grosse qui a large ouverture,

La chevill(é)e hault et bas memement,

L'austre rangée de tous cors par mesure,

La contrefaicte diverse ou par rompture,

La bien peuplée foison semée par tout,

Les longues perches ont bien peu de rameure

Cy les ay dictes toutes en bout en bout.

 

Les premier cor des meulles le plus près

E(s)t l'endoiller sy bien je m'en recors,

Surandouller le second qu'est après,

Austre on nome chevilleurs ou cors,

Et syl d'en hault quant n'y a qu'un dehors

S'apelle espoiz et sy deux sont forchés,

Et quand quatre tronchée s'apelle lors,

De cinq paulmeurs et de plus couronnéz.

 

Hugues de la Faye, f°21 Les bois de cerf (in Nicole Reynaud 1997)


Les dessins de Saint-Pétersbourg témoignent du talent du peintre choisi par le duc Antoine pour décorer la galerie des cerfs. Naturellement, notre vision reste limitée puisque certains dessins ne sont que des ébauches (notamment en ce qui concerne les médaillons). Il nous manque également la couleur même si certaines peuvent être déduites du texte (les trois couleurs des cerfs) ou des habitudes picturales (vêtement jaune de Judas symbolisant la trahison). Nicole Reynaud a bien montré que l'art d'Hugues de la Faye s'inscrivait davantage dans la tradition médiévale que dans les innovations de la Renaissance italienne (Nicole Reynaud 1997, p. 154-158). L'héritage des tapisseries du XVe siècle, telle que la Chasse à la licorne, est prégnant avec les vastes compositions de verdures ou les écriteaux légendant la scène. Concernant ces poèmes, le nom de Pierre Gringore a été avancé (Nicole Reynaud 1997, p. 159-161). Il est vrai que ce rhétoriqueur fut de 1518 à 1538-1539 le poète officiel et le héraut d'arme du duc Antoine. De plus, son oeuvre témoigne d'une certaine virtuosité à utiliser l'image du cerf pour émettre des considérations morales. Enfin, il était un homme de la même génération qu'Hugues de la Faye et il partageait avec celui-ci le goût pour la tradition du XVe siècle.

Les peintures réalisées se révélèrent assez fragiles et, dès 1537, il fallut les restaurer. La raison en est assez mystérieuse et on a mis en cause les compétences des peintres, la qualité de leurs fournitures et la mauvaise isolation de l'édifice protégeant mal l'oeuvre de la rudesse du climat lorrain. Hugues de la Faye étant toujours en activité, c'est lui qui fut chargé de cette rénovation. Les fresques demandèrent des efforts constants et les comptes permettent de suivre leurs restaurations successives jusqu'à l'occupation française de 1633 (Nicole Reynaud, 1997, p. 126-127). Après la mort de Hugues de la Faye, d'autres peintres tels que Claude Crocq, Médard Chuppin, Claude Henriet et surtout Jacques Bellange.

 

Les ébrasements et voussures des croisées

Outre les fresques et la voûte étoilée, il faut s'arrêter sur les ébrasements des fenêtres qui portaient une riche décoration. Ces peintures, sans doute réalisées en même temps que les fresques, étaient encore partiellement lisibles au XIXe siècle lorsque Prosper Morey en fit des relevés (AM Nancy, 102 Fi 4 et 5). Il observa que les ébrasement étroit des fenêtres donnant sur la cour étaient orné de motifs végétaux tandis que ceux, plus large, donnant sur la rue portaient des compositions héraldiques déclinant les différents quartiers des armoiries du duc Antoine. La première restauration de la galerie ne les rétablit pas et, de fait, les ébrasements apparaissent blancs sur la gravure de Claude-Émile Thiéry (JSAL 1862, p. 90). Ce n'est qu'après l'inauguration du Musée lorrain qu'on les reconstitua. Elles disparurent lors de l'incendie de 1871 et Émile Boeswillwald les fit refaire. L'architecte se montra à cette occasion très pointilleux. Il réalisa lui-même des dessins à la gouache pour s'assurer que le résultat final serait conforme aux peintures originelles (Bulletin des sociétés artistiques de l'Est 1896, p. 48). Pourtant, il faut noter que seules les compositions héraldiques ont été restituées. Quoique fruit du travail des restaurateurs du XIXe siècle, les peintures des ébrasements sont les seules qui rappellent aujourd'hui le décor peint qui habillait jadis l'ensemble de la galerie. Peut-être sera-t-il possible un jour de rétablir la voûte étoilée voire même, en s'appuyant sur les dessins de Saint-Pétersbourg, les cycles de la Vie du cerf et les médaillons relatifs à la Vie du Christ. La galerie des cerfs retrouverait ainsi une apparence proche de celle qu'elle avait jadis.

 

Prosper Morey, Dessins des peintures des ébrasements de la galerie des cerfs (cliché AM Nancy, détails)


Intéressons-nous à présent aux compositions héraldiques elles-mêmes :

  • Les armes du duché de Lorraine (d'or à la bande de gueules chargée de trois alérions d'argent) sont placées seules dans un écu rond tranchant sur un fond bleu.
  • Les armes du duché d'Anjou (d'azur semé de fleurs de lys d'or à la bordure de gueules) sont figurées sous la forme d'un hexagone d'azur fleurdelisé ceint d'une bordure de gueules permettant de le distinguer d'armoiries proches (comme celles du royaume de Sicile).
  • Les armes des royaumes de Sicile et de Jérusalem (soit respectivement d'azur semé de fleurs de lys d'or brisé d'un lambel de gueules et d'argent, à la croix potencée d'or, cantonnée de quatre croisettes du même) sont représentées conjointement, les premières dans une étoile à huit branches et les secondes dans une croix. Notons que le lambel sicilien n'apparaît pas dans le relevé de Prosper Morey mais qu'il a été rétabli lors de la restauration. L'association des deux armes fait référence à la lignée des Anjou-Sicile fondée par Charles Ier.
  • Les armes du royaume de Hongrie (fascé de gueules et d'argent) sont associées à celles du royaume de France (d'azur semé de fleur de lys d'or). Cette composition évoque les Anjou-Hongrie descendants de Charles Martel de Hongrie, fils de Charles II d'Anjou et d'une princesse magyare. Cette lignée a supprimée le lambel de gueules ce qui explique sont absence ici.
  • Les armes du royaume d'Aragon (d'or aux quatre pals de gueules) sont représentées avec celles du duché de Bar (d'azur semé de croisettes d'or et aux deux bars adossés du même). Les premières sont dans des écus carrés et les secondes dans des écus circulaires. De même que pour Charles Ier d'Anjou et Charles Martel de Hongrie, il s'agit de rappeler un prédécesseur à l'origine de prétentions dynastiques. Ici il s'agit sans doute de Yolande de Bar, fille du duc Robert Ier et épouse du roi Jean Ier d'Aragon. C'est d'elle que son petit-fils René Ier tira sa légitimité sur ces deux couronnes et qu'il les transmit, avec d'autres, à la Maison de Lorraine. Le sceau de Yolande de Bar montre à dextre les armes en mi-parti d'Aragon et à senestre un écartelé de France et de Bar destiné à rappeler que sa mère était Marie de France, fille de Jean II le Bon. 
  • Il reste à mentionner une dernière composition dont Prosper Morey ne fait pas mention. Elle se présente, comme celle relative au duché d'Anjou, sous la forme d'hexagones de deux types alternés : certains azur semés de lys d'or et les autres d'azur portant le monogramme d'Antoine et de Renée de Bourbon (AR). Il y a là la volonté de rappeler que la duchesse est issue d'une branche cadette de la Maison de France en ne marquant pas la brisure (une bande de gueules) des Bourbons.

 

Écu aux armes simples de Lorraine (image commons.wikimedia.org)  Écu aux armes d'Anjou ancien (image commons.wikimedia.org)

Écu aux armes d'Anjou-Sicile (image commons.wikimedia.org)  Écu aux armes d'Anjou-Hongrie (image commons.wikimedia.org)  Écu aux armes de Yolande de Bar (image commons.wikimedia.org)

 

Les ébrasements sont donc ornés d'une riche décoration héraldique qui variait selon les croisées. En revanche, les voussures, peintes en bleu, porte une ornementation unique. L'élément central est une croix de Lorraine jaune inscrite dans une couronne de feuillage rouge. De part et d'autre, des anguipèdes ailés et végétalisés la soutiennent d'une main tandis que, de l'autre, ils tiennent un phylactère avec la devise d'Antoine "J'espère avoir". Ces motifs sont renaissance et tranchent dans cette galerie si traditionnelle par le reste de sa décoration.

 

Prosper Morey, Dessin des peintures des voussures (cliché AM Nancy, détail)


La fresque de la Vierge

Il reste une dernière peinture, assez mystérieuse, à évoquer. Prosper Morey l'évoque rapidement dans une note de son article sur le château du duc Raoul à Nancy (Prosper Morey, 1865, p. 176). Voulant opposer l'austérité de la forteresse médiévale au raffinement du palais renaissance qui lui a succédé, il en vient à parler des vestiges peints de la galerie des cerfs. Outre les ébrasements des fenêtres et la voûte, il mentionne une fresque « au centre du mur du fond, côté des Cordeliers ; (...) à quatre mètres au-dessus du sol ». Endommagée mais parfaitement lisible, elle consistait en un grand ovale dans lequel étaient figurés la Vierge assise sur un trône et, agenouillés devant elle, un prince et une princesse aux manteaux armoriés. Il précise que les figures étaient de taille naturelle.

Ce témoignage est problématique. En soi, le thème n'est pas incongru et, bien que ce ne soit pas précisé, on pourrait tout à fait imaginer le duc Antoine et la duchesse Renée représentés ainsi de part et d'autre de la Vierge. Cependant, la fresque serait, sauf erreur, à placer sur le mur nord de la galerie qui, nous l'avons vu, portait la scène de la mort du cerf mise en parallèle avec la Crucifixion. Précisément, elle aurait été placée sur a partie haute du mur et aurait remplacé le médaillon central et sans doute également les putti porteurs d'écus. On pourrait admettre une différence entre les dessins préparatoires de Hugues de la Faye et la réalisation mais d'autres témoignages prouvent qu'il n'en est rien. Il y a donc eu une erreur. La seule possibilité que nous voyons est une confusion de Prosper Morey. Il est possible que la salle directement au nord de la galerie ait porté sur son mur septentrional une fresque renaissance dont des vestiges auraient subsisté jusqu'au XIXe siècle. Cette pièce, qui semble avoir souvent été cloisonnée, devint sous Léopold la salle de la livrée (Thierry Franz, 2017, p.209). Elle fut par la suite intégrée dans l'intendance devenue plus tard gendarmerie. Au moment où Prosper Morey écrit, l'incendie de 1871 n'avait pas encore eut lieu mais la fresque était peut-être déjà détruite du fait d'aménagements à l'intérieur de l'édifice.

En définitive, cette mention reste frustrante car elle est unique et contradictoire avec le reste de notre documentation. Si une telle fresque se conçoit mal dans la galerie des cerfs telle que nous la connaissons désormais, il ne faut pas nécessairement refuser son existence. Cette question ne pourra se préciser que par de nouvelles découvertes.

 

Le mobilier

 

Comme nous venons de le voir, la décoration peinte occupait une place importante dans la galerie des cerfs. Notre description serait pourtant incomplète si on se gardait d'évoquer le mobilier constitué des trophées de chasse, de la statue ornant la cheminée, des lustres et des tables précieuses.

 

Les massacres de cerfs

Trophée de cerf par Hugues de la Faye f°20-21(in Nicole Reynaud 1997, détail)Salle d'apparat, la galerie des cerfs devait montrer aux visiteurs l'opulence des ducs, mais aussi, comme le montrent les peintures murales, leur piété, leur goût pour les arts et leur illustre ascendance. Leur habileté à la chasse, activité noble s'il en est, devait également être mise en exergue. Aussi, les corniches de la galerie étaient-elles décorées de trophées de chasse. Ils apparaissent dans les archives avant même la décoration des murs par Hugues de la Faye puisqu'il est question de les retirer pour lui permettre d’œuvrer (Nicole Reynaud 1997, p. 126). Nous les voyons sur la coupe de Jules-Hardouin Mansart ainsi que sur le dessin de la Mort du cerf. Leur nombre exact n'est pas connu avec certitude mais on peut avancer une proposition. En effet, si la reconstitution de Jean Guillaume est exacte, on trouvait une tête au-dessus de chaque scène de la Vie du cerf. Il y en aurait donc eut dix sur les murs est et ouest. En comptant les deux visible sur le mur de refend nord, on obtient vingt-deux trophées.

On considère d'ordinaire qu'il s'agissait de têtes naturalisées. Ne peut-on pas plutôt supposer que si les ramures étaient réelles, la tête était en bois ou en plâtre comme c'est le cas dans la galerie des cerfs du château de Fontainebleau ?

 

La cheminée et la statue du grand cerf

La galerie des cerfs comportait une unique cheminée, dite "cheminée de la porterie", située contre le mur sud. Nous connaissons partiellement son apparence par le dessin de Hugues de la Faye (f° 22-23) et la coupe de Jules Hardouin-Mansart. Ses deux jambages prenaient la forme de pilastres décorés de candélabres et surmontés de ramures. Ils étaient un peu plus grands que le manteau, dont la tablette s'élevait à 2 m 71 et portait la statue du cerf "en oble repos". Comme nous l'avons vu, le manteau portait une des inscriptions. La présence d'armoiries n'est pas documentée mais on peut supposer que la taque au moins portait les armes du prince. L'inventaire de 1553 mentionne dans la galerie une paire de gros chenets en fer qui devait logiquement se trouver dans l'âtre (Charles Guyot,1891, p. 185). Cette cheminée, qui devait être une des plus imposante du palais, a disparue au XVIIIe siècle mais son conduit en brique a été retrouvé dans l'épaisseur du mur lors des travaux qui ont suivi l'incendie de 1871 (Lucien Wiener 1895, p. XIII).

L'élément central était le cerf surmontant la cheminée et vers lequel les regards se tournaient naturellement. Jean Guillaume doutait cependant qu"'il s'agisse d'une statue. Considérant que le plan au sol de la galerie au début du XVIIIe siècle ne figurait pas la cheminée, il en déduisait qu'elle s'ouvrait dans le nu du mur. Le manteau et le cerf n'auraient donc été que des trompe-l’œil à l'exception de la tête et des bois. Cette hypothèse a été rejetée par Nicole Reynaud et nous partageons son avis : la coupe de Jules Hardouin-Mansart figure la cheminée et le cerf alors qu'elle ne s'intéresse qu'aux volumes et néglige les peintures.

Le destin de la statue du grand cerf est controversé. On pensa au XIXe siècle l'avoir retrouvé et il fut replacé dans la galerie restaurée où il resta jusqu'à l'incendie de 1871. Nous évoquons plus longuement cette question dans l'étude portant sur l'histoire de la galerie (à venir).

 

Les lustres

 

L'éclairage nocturne de la galerie des cerfs était assuré par des lustres pendus à la voûte. Leur nombre n'est pas connu : l'inventaire de 1553 précise que six étaient entreposés dans les combles ce qui semble bien insuffisant (Charles Guyot,1891, p. 187-188). Une mention dans les Comptes du Cellerier nous apprends qu'en 1572, le peintre Jean Bleyer de Bariscord dora quatre "grands chandeliers pendants" (Henri Lepage, 1852, p. 68). Il ne s'agissait cependant que d'une partie du nombre total de ceux employés dans la galerie. D'ailleurs, d'autres moins ostentatoires pouvaient également être utilisés. En effet, la Pompe funèbre de Charles III précise que les trois lustres visibles sur la planche V étaient noirs. Ils n'étaient sans doute utilisés que lors de ces cérémonies. Notons qu'il n'y en a alors qu'une rangée au milieu de la voûte. À l'inverse, la coupe de Jules Hardouin Mansart en montre deux rangées parallèles au début du XVIIIe siècle.

 

Lustres de la galerie des cerfs par Friedrich Brentel 1611 (cliché BINHA, détail)


Les tables précieuses

Si la galerie contenait des meubles usuels, tels ce grand banc en bois de sapin mentionné dans l'inventaire de 1553 (Charles Guyot,1891, p. 185), nous savons qu'elle abritait aussi deux tables particulièrement précieuses. La première était en argent doré sculptée de diverses figures et emblèmes, ainsi que de vers latins. Les archives ducales nous apprennent qu’en 1606, un certain Jean Lallemand reçut 280 francs pour des travaux la concernant. Nous ignorons ce qu'elle est devenue. La seconde, quant à elle, était une table de marbre et d’agate jugée par le voyageur Jocodus Sincerus, qui visita le Palais au XVIIe siècle, « admirable par sa longueur et sa largeur ». Nous savons par les comptes du Cellérier qu’en 1620, un marchand nancéien nommé Nicolas Michauld reçut plus de 56 francs pour 10,5 aunes (plus de 10m) de futaine anglaise destinées à cette table. Tant de tissus confirme qu'il s'agissait d'un meuble considérable par sa taille. Elle fut emportée par Louis XIII en 1636 (Christian Pfister 1905, p.67) et finit sans doute au château de Richelieu avec les globes de Jean l'Hoste dérobés de la même manière. Les collections du cardinal ayant été dispersées au XIXe siècle, il est impossible de savoir ce qu'elle devint. Quoi qu'il en soit, une table comparable en marbre et en pierres fines et provenant du château de Richelieu est désormais conservée au Louvre (MR 405). Si rien ne permet de supposer qu'il s'agisse de celle des ducs de Lorraine, elle n'en est pas moins un parallèle intéressant. Notons que seul le plateau est d'époque. Le reste du meuble, en bois doré, est bien postérieur (début XIXe siècle).

 

Table provenant du château de Richelieu (cliché Musée du Louvre)

 

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